rise and shine (ainsley)

La dernière fois qu'il avait mis le pied dans son pub habituel, il avait dragué cette femme qu'il n'avait pas envie de recroiser maintenant. Faut dire qu'après l'avoir virée brutalement de chez lui parce que sa fille rentrait plus tôt que prévu, il n'avait pas plus envie que ça de la recroiser. Il est pas le plus doué lorsqu'il s'agit d'excuses en même temps. Alors pour changer, il était parti au riverfront tavern qui n'était pas mal question ambiance et service de ce qu'il avait pu voir les quelques fois où il s'y rendait. Puis c'est pas si loin que ça de chez lui. Il gare son pickup de l'autre côté de la rue, regarde à deux fois d'avoir bien fermé les portes et s'engouffre dans le pub, les mains dans les poches. On vient très vite prendre sa commande, il aperçoit à peine la serveuse, regardant son mobile à l'ancienne qui affichait un message de sa fille. Je rentre pas ce soir, ne m'attend pas, bisous avec un cœur. De toute manière, il l'aurait parié. Il est déjà assez tard pour qu'il ait deviné ça tout seul. On lui ramène sa bière, il lance un « merci » dans le vague, l'oreille tendue vers la musique. Pas trop mal, c'est clair qu'il y a mieux. Puisqu'il est seul, il boira quelque verres et ira se coucher un tantinet serein. Lui, il aime pas boire seul et encaisser sa solitude en ressassant toute les merdes qui lui tombent sur la gueule.
Deux bières. Il est finalement en passe de tailler la route lorsqu'il entend des éclats de voix. Il s'en fout sur l'instant, mais vue que personne ne bouge, il prend le temps de soupirer et s'avance pour attraper le bras du mec. « Elle t'a dit de la laisser tranquille, tu sais pas ce que ça veut dire ? Tires-toi ! » qu'il fait en le poussant pour qu'il dégage. Le gars fait volte face et surprend Felix d'un poing en pleine face avant de se barrer en titubant. Il jurerait qu'il lui a pété le nez tellement ça fait mal. Il a plus du tout l'habitude de se faire casser la tronche, alors il en reste con, tête en arrière quand il sent le sang qui coule de son nez. Il aurais pensé que ses presque deux mètre auraient suffit à lui intimer l'idée de déguerpir sans représailles... Reste qu'au moins, Felix a de quoi se remplir la tête avec une idée de vengeance pendant ses heures libres. Un poing pour un poing. « Et merde... lui j'vais lui péter sa gueule. » Il cherche dans ses poches pour trouver un mouchoir. Rien. Il jette un oeil sur la serveuse, il lève les sourcils faute de pouvoir faire autre chose en se tenant le nez. « Ça va j'ai rien ! » Au moins il a toujours 'sauvé' la demoiselle en détresse, assez belle pour qu'il en sacrifie sa face.

Une soirée comme une autre au boulot. Les gens vont et viennent, reste plus ou moins longtemps, commande plus ou moins d’alcool, repartent en titubant pour la plupart alors que d’autre se font plaisir à monter le taureau mécanique au fond du bar. Faut dire, c’est le genre de chose qui attire les foules et la taverne est apparemment l’endroit idéal pour ça. Toi, t’es assis seul dans ton coin et tu dis pas un mot à personne. Un pauvre bougre qui rumine en silence à ce que je vois. Des comme toi, j’en vois régulièrement tu sais, rien d’bien impressionnant à mes yeux. Sauf que quand ce mec laisse balader ses grosses mains dégueulasses sur mon corps comme s’il lui appartenait, quand je lui dis d’abord gentiment non et puis un peu plus fermement parce qu’il vient de me taper le cul en rigolant, je sens la colère monter en moi, mais n’ai pas le temps de l’exprimer avant que tu ne débarques. « Elle t'a dit de la laisser tranquille, tu sais pas ce que ça veut dire ? Tires-toi ! » Je cligne des yeux en te jetant un regard et en regardant à nouveau le lourdeau qui se retourne tout juste pour t’envoyer valser son poing dans le nez. J’étouffe un hoquet de surprise en haussant les sourcils et le regarde dubitative qui sort du bar comme si de rien n’était. Toi, tu restes planté là un moment, l’air con, tout aussi surpris apparemment qu’il ait osé s’en prendre à ton mètre 93. Le sang commence lentement à couler de ton nez et je débats mentalement avec moi-même à savoir si je dois t’apporter de quoi essuyer tout ça ou bien te laisser tranquille. Sait-on jamais avec les mecs bourrés et frustrés, j’voudrais pas me prendre un coup aussi. « Et merde... lui j'vais lui péter sa gueule. » Ouais, tout compte fait, j’devrais peut-être appeler les flics plutôt. « Ça va j'ai rien ! » Je sursaute à nouveau, ramener brutalement à la réalité quand tu t’adresses à moi. « T’as pas rien, tu pisses le sang. Vient là. » Je t’attrape par le main, tenant mon plateau de service de l’autre et t’entraine jusqu’au bar où je dépose finalement le cabaret et trouve une guenille propre. Je la mouille et viens doucement la poser sous ton nez, les bras dans les airs pour t’atteindre, ma main libre posée sur ton épaule. « Merci… » Je croise enfin ton regard et esquisse un petit sourire.

S'il avait su qu'il allait se prendre la tête avec un alcoolo, il aurait privilégié sa soirée réparation de bagnole plutôt que de venir se refaire faire la façade dans un bar, ou certes, la bière était d'une saveur à ne pas manquer. Autrement, il respirait la rage à l'idée de s'être laissé cogner sans réagir, comme un abruti rouillé. Il soupçonnait qu'il lui ait pété le nez, alors que la solidité des os sous ses doigts confirmait le contraire. Felix, il s'en veux plus à lui qu'à l'autre con. Il est où le temps où il savait donner une bonne leçon à ceux qui le méritaient – à tort ou à raison, alors qu'il n'avait pas la moitié du muscle qu'il a aujourd'hui ? La colère donne des ailes et rend presque intouchable, c'est sans doute ce qui marchait à l'époque.
Il s'apprête à contester alors qu'elle l'attrape par la main. Le contact de sa main dans la sienne le surprend bien qu'il referme la sienne sur celle de la jeune femme. Habituellement, la familiarité - agréable - se fait beaucoup plus tard dans les rencontres qu'il peut faire et qui n'entrent pas dans le domaine du charnel. Son regard ne la quitte pas, elle, sa chevelure, son visage à présent qu'elle trouve de quoi colmater le saignement. Il se dit une fois de plus qu'elle en valait bien la peine, puisqu'elle se met en tête de s'occuper de lui en échange. Il lâche son nez pour arriver jusqu'au bar, sa chemise à carreau accueillant les taches de sang comme pour protéger le sol du pub.
Il attrape à son tour sa main en cherchant à tenir le tissu par lui-même, lui tenant son regard. Il n'a plus l'habitude qu'une femme s'occupe de lui, si ce n'est sa fille qu'il considère plutôt comme une petite fille encore. « Oh, pour ça ? N'importe qui aurait pu faire la même chose. » Il rigole, attisant la douleur qui lui fait faire une grimace qu'il cache plus ou moins. C'est vrai, n'importe qui aurait même fait mieux, mais au moins, il reste qu'il n'y a pas eu de grabuge dans le bar. « Je déteste ce genre de mecs... J'imagine que c'est monnaie courante ici. Ça fait longtemps que tu bosses ici ? » Felix jette un œil sur le tissus placé sous son nez. On dirait que ça se calme l'air de rien. Il trouve place sur le plus proche tabouret, oubliant un instant, trouvant un soulagement de ne plus tenir sur ses jambes. « Ne perds pas non plus ta place pour moi. » fait-il d'un air amusé.