∞ cocorico

1. Laura, Annabel, Loreen, Satine, France, Deborah, et Jude. Sept filles, les Peembrock, ces gamines souriantes, toujours le mot gentil, bien élevées, elles ont le sourire, leurs parents sont charmants, de bons voisins, toujours prêts à rendre service, et c’est ainsi qu’ils ont élevé leurs filles, du moins c’est l’avis général dans ce petit quartier un peu en dehors de Philadelphie. Mr Reynald Peembrock, professeur de philosophie, et sa femme, Nadine Peembrock, née Lebret dans sa France natale.
2. Jude est la petite dernière, choyée, rien ne lui résiste, un sourire et chacun se plie en quatre pour la contenter. Cela aurait sans doute pu faire de cette petite rousse une capricieuse, une teigne, et c’est tout le contraire, elle a le cœur sur la main la petite Jude, elle est toujours là à vouloir aider même quand ce qui l’entoure la dépasse, des qualités qu’elle garde en grandissant.
3. Mais téméraire, elle n’a pas froid aux yeux, en quatrième elle se bat avec un garçon de trois ans son aîné car il a fait pleurer France, gamine plus réservée, timide et qui se laisse marcher sur les pieds. Elle est punie, et elle s’en veut, non pas d’avoir refait le portrait de cet idiot, non d’avoir déçu ses parents, qui prônent plus que tout le savoir être, le savoir pardonner.
4. L’université, elle en rêve, elle dessine des croix sur son calendrier avant le jour fatidique du départ, elle rêve de devoir juge, d’avoir le pouvoir de changer les choses, et elle rêve d’une justice dans laquelle elle pourra s’épanouir, peut être aider des âmes perdues, et c’est dans cette optique qu’elle part vers des études de droit, contre l’avis de sa mère, qui aurait aimé la voir embrasser une carrière plus… féminine ? Professeur des écoles comme Laura peut être ? Ou simplement mère au foyer comme s’y destine très prochaine France, après des études plus que médiocres. Mais Jude elle rêve de plus, de beaucoup plus.
5. Il est parfait, l’homme idéal, brillant, d’une bonne famille, des parents parfaits comme les siens, et il représente le mariage heureux, des enfants bien élevés, une maison simple mais bien tenue et où la joie de vivre est le mot d’ordre. Rien n’est pourtant si parfait, arrêter ses études ? Non pas question… elle n’est plus très loin de son rêve, mais il insiste, encore et encore… et devant cette bague dont elle rêve depuis sa plus tendre enfance, elle se dit « et pourquoi pas ? ». Elle fait le bonheur de sa famille, de sa mère. Et si ce n’était pas suffisant.
6. Elle ne sait pas ce qu’il lui a pris, qu’est-ce qu’elle fait là ? Assise sur un banc à attendre… quoi ? Une de ses sœurs peut être ? Un ami ? Non, elle a besoin d’air, d’autre chose, elle pourrait continuer sa vie comme avant, retourner travailler dans ce bureau d’avocat qui l’ennuie… passée si près de son rêve… rentrer chez ses parents ? Elle ne supporterait pas les reproches, même à demi-mots… Ou bien tout recommencer, se donner une chance d’être une autre personne. S’enfuir, ça ne lui ressemble tellement pas, et pourtant elle sent son estomac se nouer rien qu’à l’idée d’oser.

Mount Juliet ? répète-t-elle. Oui mam’selle, Mount Juliet, vous avez dit le premier ticket que j’trouve ?! Bah c’est ça… Il pose le ticket devant elle et à l’air passablement agacé. Elle le prend, laissant le billet de vingt dollars à la place et tourne les talons. Elle n’a pas vraiment réfléchi, et l’adrénaline présente commence à laisser place à l’angoisse. Une place libre contre une fenêtre et elle pense, devrait-elle faire demi-tour ? Présenter des excuses ? Supplier pour reprendre les choses là où elles se sont arrêtées ? Oh mon dieu, cela lui semble tellement loin… Elle fait tourner cette bague sur son doigt, encore et encore et l’enlève. Le train part, plus de retour en arrière maintenant. Elle s’assoupie le temps du trajet et à son réveil cette bague est toujours posée sur la tablette devant elle… elle aurait presque cru pendant ces quelques secondes, entre rêve et réalité que tout cela elle l’avait rêvé. Elle attrape son sac, récupère sa valise, et s’apprête à descendre. Un dernier regard vers son siège, elle se sent bizarrement plus légère d’un coup. Cette bague fera sans doute un heureux, là où elle n’avait pas réussi à s’en contenter.  

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