fuck you very much (marleen)

Elle n’a pas envie de rentrer chez elle. Le moindre prétexte est bon pour retarder ce moment où elle va franchir le pas de la porte. Parce qu’elle sait qu’elle va encore se retrouver avec son putain d’alcoolique de père. Sa mère ? Cette conne d’égoïste a foutu le camp depuis longtemps. Elle en aurait fait autant à sa place. Mais putain, laisser sa gosse de huit ans avec un alcoolique, violent et pervers ? Faut vraiment être une pourriture. « Leen ça va ? C’est quoi ces bleus sur tes bras ? » Marleen est trop occupée à admirer le paysage. L’automne arrive, elle se perd dans la contemplation des feuilles rouges qui vont bientôt tomber. Elle tourne la tête vers Kyle. Kyle c’est son ami d’enfance. Ça fait dix ans qu’ils se connaissent. Elle sait qu’il deviendrait fou s’il apprenait ce que lui faisait son père. Les gifles, les coups de poings et ne parlons même pas des visites surprises nocturnes dans sa chambre. Marleen regarde ses bras comme si c’était la première fois qu’elle les voyait. Elle arbore ce faux sourire qu’elle a pris l’habitude d’afficher quand elle ment, quand elle cache la sombre vérité de sa vie de merde. « Oh c’est rien, je me suis fait ça pendant le cours de sport. Les cours de Monsieur Jones sont parfois un peu dangereux. » Kyle n’est pas idiot. Il n’a que quatorze ans, certes, mais il est plutôt intelligent et malin. Malheureusement il ne peut rien faire pour sauver Marleen des griffes de son monstre de père. Personne ne peut rien faire pour elle de toute façon.

« Marleen ! Viens ici putain ! » Elle court, elle prend ses jambes à son cou et elle fonce vers sa chambre. Sa chambre qui est le théâtre des sévices que lui fait endurer son père depuis qu’elle a neuf ans. Ça fait huit ans qu’elle subit ça. Elle ne peut plus. Elle part totalement en vrilles. Et si le vieux est dans une colère noire c’est parce qu’elle vient de rentrer. Il est onze heures et elle a passé la nuit dehors. Elle a passé la nuit à se faire sauter dans une voiture, avec un mec qu’elle ne connaît même pas. Elle voulait savoir ce que ça faisait. De le faire en étant consentante et surtout pas par celui qui l’a engendrée. Elle ferme la porte à clé. Elle ne sortira pas. Il peut se brosser ce sale con. Elle prend son sac à dos et y fourre quelques affaires. Des fringues et surtout son appareil photo. Elle ne passera pas une nuit de plus dans cette baraque. Cette maison de l’enfer. Son sac prêt, elle passe par la fenêtre. Adieu connard. qu’elle se dit. Mais quelques heures plus tard, alors qu’elle marche sur le bas côté de la route, une voiture s’arrête. Quand elle la reconnaît, elle court, aussi vite qu’elle peut. Mais il la rattrape bien vite. Comment imaginer qu’un ivrogne pareil pourrait avoir autant la forme. « T’es à moi. Jamais tu partiras. »

« Il est mort d’un coma éthylique. Vous avez de la famille ? Quelqu’un qui peut s’occuper de vous ? » Marleen hausse les épaules. Elle a bien une tante mais elle la connaît à peine. Elle est encore mineure. Elle n’a que dix-huit ans, elle ne peut pas rester seule. Alors elle est obligée de rassembler ses affaires pour partir chez cette femme dont elle ne sait rien. Elle est accueillie plutôt froidement. Cette tante elle ne l’a vue qu’une ou deux fois et elle ne semble pas ravie d’accueillir cette gamine chez elle. Il ne faut pas qu’elle espère recevoir de l’amour de la part de cette femme. De toute façon, l’amour elle ne sait pas ce que c’est.

C’est toujours la même rengaine. Il lui hurle dessus, elle gueule encore plus fort. Ce mec c’est pas un gars bien, elle le sait. Et pourtant elle l’a dans la peau. Et plus il agit comme un connard et plus elle s’accroche. C’est toujours pareil. Les mecs bien, Marleen elle n’a jamais connu. Et puis elle ne cherche pas à en connaître. C’est pas l’amour tendre qu’elle cherche. C’est la passion destructrice. La haine qui vous ronge et qui vous pousse à dire des choses horribles, à faire des choses horribles. Et ce mec, même si c’est un sale con, elle peut pas le lâcher. Elle est accro. C’est une putain d’addiction dont elle ne peut se défaire. Il va la conduire à sa perte c’est certain. Elle devrait fuir et mettre un terme à tout ça, maintenant, pendant qu’il en est encore temps. Mais elle ne le fera pas. Elle a besoin de cette relation. Elle a besoin de ces engueulades, de ces bagarres et de ces réconciliations sur l’oreiller. Sans ça, elle n’est plus rien.

running your finger down the wall