thunder (solstice)

Ça, c'est ce qu'il aurait appelé une journée de merde, et encore, elle n'était pas terminée. Traiter avec les gros clients, c'est ce qu'il aime le moins à la scierie, lui faisant presque envier le poste qu'il avait lorsqu'il a commencé dans l'entreprise. Les gamins n'étaient pas là, lui avait trois heures à tuer, alors il s'est dit que faire un tour chez les parents pourrait être pas mal, pour manger un plat qu'il n'aurait pas lui-même cuisiné. Il avait cette chance encore, d'avoir des parents vivants malgré son âge, encore en bonne santé et plus adorables que n'importe quels parents. Avec son amour inconditionnel, il pousse le portail du jardin et se glisse par la porte de derrière pour faire une surprise à sa mère. Elle avait l'habitude qu'il arrive à l'improviste, et comme lorsqu'ils étaient petits, la table et les plats sont toujours prêts, et ses parents, enclins à lui poser une assiette pour qu'il partage leur repas. Alors quand il entre dans la cuisine, il s'étonne de n'y trouver personne. L'odeur de ces succulents mets n'est pas, et d'ailleurs, la pièce semble n'avoir pas servi de la journée. Ils ne pouvaient quand-même pas être sortis sans avoir verrouillé la porte... Pas après tous les sermons qu'il leur avait fait sur la sécurité, petite ville ou non. « Maman ? ... Papa ? » Pas de réponse. Ils étaient peut-être parti en ville, ou déjeuner au restaurant même... Il allait partir quand il entend un bruit de pas. Il imagine déjà le pire, marchant à pas calfeutrés pour attraper le petit coffre dans lequel il a enfermé l'arme qu'il a laissée à ses parents. Et alors qu'il la prend en main, il la braque devant lui, avançant pour passer dans le couloir, peu rassuré. Qui de plus paranoïaque que felix au sujet de la sécurité, pourrait se prendre pour un flic comme dans la télé ?!

Solstice était revenu à la maison. Chez papa et maman. Après tout ce qu'il s'était passé pour lui, il avait besoin de prendre du recul et de laisser passer du temps à New York. On le voyait que comme un escroc alors qu'il avait juste suivi les ordres de ses supérieurs mais il n'avait jamais réussi à le prouver. Alors à la maison, il avait décidé de ne rien faire. Il avait travaillé plus de 60h par semaine quand il était à New York, il avait failli deux fois faire des malaises parce qu'il travaillait trop. Toujours l'appât du gain, de voir les millions de dollar passés dans ses mains pour aller ailleurs. C'était ça qui lui plaisait. Aujourd'hui, il donnait l'impression d'être l'ado qui ne voulait plus rien glander. Et c'était vrai. Il ne voulait plus travailler, il n'avait confiance en personne et surtout pas aux patrons. Et alors, qu'il était dans son ancienne chambre, il entendit une voix appeler. Une voix bien connue, celle de son frère aîné mais Sol ne répondit pas. Il n'avait pas envie de voir son frère lui faire un sermon. Pourtant, il était curieux de le voir, trois ans après. Il n'avait sûrement pas changé mais pour Sol, ça lui faisait plaisir. Il descendit en bas, et vit son frère avec une arme. Sol fronça les sourcils et il dit:

"Eh oh du calme Lucky Luke... C'est que moi, Solstice..."

Il leva les yeux au ciel et il lança:

"Pose ce machin, tu vas blesser quelqu'un avec... "

Sol n'était pas inquiet plus que ça. Bien au contraire. Il connaissait Felix.

Sa main était sûre, mais son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il s'entrainait assez sur des bouteilles de bière pour être certain de bien viser, sauf que les bouteilles n'étaient pas vivantes, elles. Il avait aussi prit des cours avant ça. La peur est la pire ennemi du porteur d'arme, donc il a maitrisé sa peur dans le cas où il faudrait qu'il se défende. Tout ce qu'il espérait, c'était que sa mère ne se retrouve pas au bout du canon. Mais elle lui aurait répondu avec certitude. Quand la silhouette apparu, il sursauta en baissant l'arme, laissant retomber ses épaules et toute la charge qu'il leur avait laissé. C'était son frère. Un revenant. La cartouche aurait été remplie de sel, encore qu'il aurait pu tirer. « Putain qu'est-ce que t'es con, j'aurais pu te flinguer... » Il y avait un soupçon de soulagement, et en même temps, une rancoeur justifiée qui venait le prendre.

« Je l'aurais pas sorti si tu m'avais répondu quand j'ai appelé! » Il se détourne et s'en va ranger l'arme en remettant la sécurité. « Tu t'es souvenu que les parents existaient ou tu t'ennuyais dans ta demeure dorée ? » D'un côté, il était heureux de revoir son frère. Trois ans, c'était long. Il n'imaginait plus recroiser son visage, ni pouvoir se prendre la tête avec lui. Il lui avait manqué, mais Felix n'avait pas la moindre envie de le féliciter d'être revenu après les avoir oublié. Il avait envie de lui reprocher ses erreurs, parce qu'il n'avait eu aucun respect pour le mot famille.

Solstice remarqua l'agacement de son frère face à sa présence. Bien sûr qu'il aurait pu prévenir de son retour. Mais il avait honte de lui, de ce qu'il était devenu, par rapport à sa vie d'avant. Il aurait aimé leur dire qu'il avait réussi mais il avait tout raté. Il avait perdu confiance en lui depuis le procès et depuis la mort de sa femme. Avoir perdu tragiquement sa femme dans un accident, il ne savait plus comment réagir. Alors un retour aux sources, lui ferait le plus grand bien. Et tout ça, il était hors de question de raconter ça à sa famille. Il ne s'était rien passé et s'il était rentré, c'était pour prendre des vacances. Il leva les yeux au ciel et il répliqua:

"Et bah bravo si tu reconnais pas ton petit frère... je sais que j'ai changé en trois ans, mais quand même... "

Et Felix continua avec ses piques sur son absence. Dans un sens, ça le touchait parce que son frère l'imaginait avoir la belle vie alors qu'il avait vécu l'enfer. D'ailleurs, il était étonné que Felix, ni même leurs parents n'aient rien entendu à propos du procès. De ce côté là, il était chanceux. Il répondit alors:

"Tu crois que je vous ai oublié? C'est une blague! Je travaille 60h par semaine, j'en oubliais de manger des fois... j'avais pas le temps de vous appeler...."

Il ne mentait pas, juste il disait pas qu'il avait arrêté de travailler.

Il se retourne vers lui pour lui lancer un sourire forcé. Aucune discrétion dans le fait qu'il lui en voulait, et les accolades, il pourrait les attendre. Felix avait toujours veillé sur lui, c'était son petit frère, et même s'ils n'avaient pas vécu longtemps ensemble parce que lui avait volé jeune de ses propres ailes, il l'aimait tout autant que leur sœur. Il ne dit rien quand au fait qu'il avait 'changé en trois ans', sans quoi il n'aurait encore pas été sympathique et il finirait par s'en mordre les doigts. Mais quand il lui affirma qu'il n'avait pas pu appeler parce qu'il avait des semaines de soixante heures, et qu'en plus il trouvait ça normal, il sortit de ses gond. Sauf qu'il n'est pas un gueulard, il élève le ton sans que ça ne vibre très haut dans les décibels. « Tu te fous de ma gueule ? Tu crois qu'on bosse pas avec Maddie ? Ou t'estime juste qu'on fait des boulots de merde ? Rappeler quand on te laissait un message, c'était pas comme si t'allais y passer huit heures... Au moins maman quoi. » Sa mère était sacrée à ses yeux. Son père aussi, mais d'une manière plus lointaine puisqu'il avait moins d'affinités avec lui. Et Solstice les avait laissé dans l'inquiétude.
Le départ de Solstice à la ville, il s'y était fait tant qu'il venait encore les voir, mais quand il a coupé tout contact, il a prit ça pour un affront. « Alors oui, j'ai bien l'impression que tu nous a oublié, ce qui fait que je n'comprends pas tout à fait pourquoi tu passes tes petites vacances ici. »

Son frère n'avait vraiment l'air ravi de le revoir et Sol s'enfonçait dans les mensonges sans arriver à s'en sortir. Il ne savait pas pourquoi il ne disait tout simplement pas la vérité. Peut être parce que Felix avait autre chose à penser et à s'inquiéter. Et que la situation de Sol ne pouvait pas être pire. Il soupira et laissa parler son frère, sans lui en tenir compte. Sol ne savait pas comment changer la conversation et son frère semblait chercher la moindre explication. Il soupira une nouvelle fois avant de répondre:

"J'ai plus 5 ans! Je peux vivre aussi ma propre vie? Avoir une vie privée? Tu me vois, tout va bien! Alors ça suffit les reproches!"

C'était vrai qu'il commençait en avoir marre d'être traité comme un bébé alors qu'il avait 30 ans. Il pouvait bien vivre comme il l'entendait. Il reprit alors:

"Maman et papa sont contents de m'avoir Ils sont contents de voir que je vais bien et que je reste avec eux? Il te faut quoi de plus? Que je retourne à New York sans prévenir... Tu serais peut être content... C'était peut être que ça que tu attendais? Ne plus jamais me voir!Tu en as l'habitude remarque!"

Il tentait de garder son calme pour ne pas être méchant avec son frère mais il était impulsif et parfois ses mots dépassaient sa pensée, comme maintenant.

Solstice avait le don de le mettre dans un état de colère sans pareille. Il ne le contredisait pas alors qu'il avait parlé de lui et sa soeur ayant des boulots pourris... C'était donc bien ça sa logique. Et le voir là, que les parents ne lui en veuillent pas,  il ne comprenait rien. A croire que c'est lui qui a la rancune tenace. Et il comprenait rien... Felix secoua la tête, agacé. « C'est pas possible, tu le fais exprès... » Par habitude, il rangea les quelques tasses qui étaient sur l'évier dans l'espoir de se calmer. Il ne supportait pas que son frère joue à celui qui ne comprend pas, alors qu'il le savait très intelligent. Assez intelligent pour jouer avec les chiffres et les relations dans l'optique de l'argent.

Ce qui le blessa le plus, c'est lorsqu'il parla de repartir à New York sans prévenir. Mais jusqu'ici, qui avait tenu les membres de la famille à l'écart. Ce n'était pas Felix, et il ne voyait rien en lui qui puisse lui porter la faute. Il n'avait plus cinq ans, mais donner des nouvelles se faisait à tout âge. S'il avait été mort, ils n'en auraient rien su non plus.
« Tu sais quoi, fais ce que tu veux, c'est ce que tu as fais jusqu'ici non ? Ce qu'on peut attendre, c'est pas comme si tu y portais une quelconque attention. » Il n'avait pas envie d'en dire plus, parce que les mots risqueraient de dépasser sa pensée. « Tu sais où sont maman et papa ? » Une fois qu'il aurait sa réponse, il remonterait dans son pickup et taillerait la route. Il savait déjà qu'il le regretterait, mais il n'avait pas envie que ça n'aille plus loin que des mots méchants balancés à la figure de Solstice, alors qu'en réalité, le revoir était un franc soulagement. Mais l'abandon, il ne le supportait pas.

Sol continua de s'énerver. Son frère lui posait trop de questions comme un interrogatoire de police. Et il avait connu ça. Solstice explosa alors:

"Non mais tu te fiches de moi? Tu te prends pour qui? D'abord une arme, puis l'interrogatoire? Je suis au poste de police? Je vais passer par la case prison? Tu attends quoi de moi?"

Il était hors de lui, furieux. Il n'était pas revenu à Mount Juliet pour revivre un tel enfer. Son frère avait vieilli, il avait changé mais ça n'excusait pas tout. Il n'avait pas encore vu sa soeur mais ça se passait de la même façon, Solstice ne voudrait plus voir personne. Ou encore mieux, fuir au Mexique pour avoir la paix définitivement.

"Oh mais si ça t'emmerde tellement que je sois revenu, j'ai qu'à me casser au Mexique pour ne plus jamais revenir... C'est ça que tu veux? Que tout le monde te fuit? Je sais très bien ce que tu me reproches... Oui j'ai pas donné de nouvelles et alors? Je suis pas mort! La preuve je suis là... Et non, je ne sais pas où ils sont..Quand je me suis réveillé, ils étaient plus là..."

Solstice tenta de se calmer mais il avait encore la rage d'avoir perdu sa femme, d'avoir failli partir en prison et failli voir sa tête dans tous les journaux du pays. Il espérait quand même que son frère ne lise pas les journaux parce qu'ils avaient parlé de l'affaire. Et il était sûr que son nom était cité dans leurs articles.

Et Solstice continuait de s'indigner de la réaction de son frère. Tout ce qu'attendait Felix, c'est qu'il s'excuse, d'avoir été un con égoïste qui ne pensait qu'à lui même et à l'argent. Mais vue comme c'était parti, il était loin d'entendre ce qu'il espérait, et il s'en désolait d'avance. Trop couvé, trop protégé, il n'avait toujours pas conscience que son petit frère avait été étouffé et qu'il n'en pouvait plus. Tout ce à quoi il pensait, c'est qu'il l'avait abandonné.
Police, prison, interrogatoire... c'est comme s'il lui passait un message sur une connerie qu'il aurait faite. Il s'appuya contre l'évier, se mettant face à Solstice. « Qu'est-ce que j'attends ? Que tu te rendes compte qu'on s'est fait du soucis à ton sujet ! Et que tu te colles dans le crane que je t'en veux peut-être pas pour rien. » Il ne lui disait pas franchement qu'il voulait des excuses, parce qu'il les voulait sincère, que son frère se rende compte par lui même qu'il avait pu leur faire du mal.

« On pourrait presque croire que t'es en cavale ou un truc du genre tu vois. Et je préfèrerais presque ça, parce que ça voudrait dire que t'avais une raison valable. Expliques moi au moins, cette vraie raison. Parce que l'histoire du boulot, j'y crois pas une seconde. Tout le monde bosse. Certains ont des horaires impossibles et ils ont femmes et enfants. »
Il avait baissé d'un ton, et ce qu'il disait, ça le blessait. C'est vrai qu'il avait une attitude parfois disproportionnée, mais là, il ne voyait pas qu'il était aussi fautif que Sol dans cet échange.

Ses parents n'étaient pas là, comme s'ils avaient voulu que les retrouvailles se fassent sans leur intermédiaire. Au moins il savait ce qu'il voulait savoir, mais il ne sait pas pourquoi, une certaine chose le retenait, comme s'il voulait tout de même, que son frère ne disparaisse pas à nouveau.

Sol avait l'impression d'être de nouveau l'ado qui se faisait engueuler par son grand frère. Et il avait sérieusement envie de lui répliquer qu'il avait 30 ans maintenant. La colère et l’impulsivité le tenait  mais il allait encore être méchant avec son frère et malgré tout, il le refusait. Pourtant Felix le traitait comme un bébé. Alors la colère de Sol éclata:

"Ecoute bien Felix, j'ai 30 ans! Arrête de me traiter comme un adolescent! Je suis pas ton fils moi! Je suis ton frère! Et j'ai des comptes à régler à personne!Si tu veux tout savoir pourquoi j'ai pas donné de nouvelles... C'est parce que j'étais chez les flics! Et qu'entre temps, j'ai perdu ma femme! J'avais pas envie de vous en parler! Je voulais rester seul! "

Dis comme ça, son frère allait croire qu'il avait tué sa femme. Tant pis, il était assez énervé comme ça. Et il rajouta:

"Et si tu veux un peu plus jubiler alors dis toi, que j'ai plus d'appartement, plus de boulot, plus de voiture et surtout plus de fric... là t'es content, hein? "

Non, c'était pas possible, il lui avait dit la vérité sans vraiment lui dire. Son frère était fort pour faire avouer les gens.

"Et non, je ne suis pas en cavale.... j'ai eu une avocate qui a réussit à plaider ma cause... je suis un être libre... mais pour le moment New York, je préfère éviter... "

Il n'avait jamais senti à quel point le fait qu'il l'avait tant materné pouvait l'avoir touché, dans sa vie, dans la construction de lui-même. Et encore aujourd'hui, il persévérait dans son ignorance, l'écoutant sans entendre le sens de ses mots. Jusqu'à ceux qui le firent tomber de haut. "Les flics" ? "Sa femme" ?
Il resta là, bouche bée, sans aucun mot pour lui répondre. Jamais il n'aurait pensé que son frère s'était posé au point d'avoir une femme à ses côtés. Il hésitait entre l'angoisse du fait qu'il ait été au commissariat il ne sait combien de temps pour quelque chose qui semblait signifiant, et la colère plus importante encore plus tôt, à savoir qu'il les avait éloigné de sa vie plus sévèrement qu'il ne l'avait imaginé. Felix, il n'y a aucun doute pour lui qu'il devait être d'un blanc porceleine. Et il tendit l'oreille seulement à demi alors que Solstice reprenait de vive voix... Vraiment ? « Putain, mais pour qui tu me prends ? » Lui qui jubilerait de sa défaite ? Sans doute méritait-il qu'il le fasse. Forcément, il lui était déjà arrivé de penser que s'il n'avait pas tout cet argent qui lui monte au cerveau, il penserait un peu plus à sa famille. « Tu me connais mieux que ça quand-même... Par contre, c'est pas mon cas... » fit-il avec une déception aisément perceptible. « Je me suis gravement trompé sur ton compte ! Tu es marié, sans qu'on le sache... Tu vas me dire aussi que j'ai un neveu ou une nièce que je ne connais pas encore ? Et puis... » il secoue la tête, ses doigts passant sur sa barbe naissante. « Comment t'as pu te foudre dans la merde au point de finir chez les flics ? » Des scénarios venaient et repartaient dans sa tête. Felix ne savait plus quoi penser de son frère.