nothing compares. (lenny)

it's been so lonely without you here
like a bird without a song
nothing can stop these lonely tears from falling
tell me baby where did I go wrong

« A bientôt Monsieur Jensen, passez une bonne journée. » Un sourire flottait sur ses lèvres tandis qu’elle regardait s’éloigner ce fidèle client dont les mains étaient occupées par une caisse de cidre. Si elle avait bien appris une chose à son sujet, c’était que lorsqu’il venait se ravitailler, il ne le faisait jamais à moitié. Cela avait au moins le mérite d’être clair quant à sa satisfaction. Elle referma alors derrière elle –car oui, la moindre des choses fut de lui tenir la porte compte tenu que, comme tout être humain normalement constitué, il n’avait pas de troisième bras- et regagna sa place derrière le comptoir. Elle n’y resta toutefois pas bien longtemps car son estomac la rappela à l’ordre. Elle ne se félicita pas d’avoir sauté l’étape du petit-déjeuner dans le seul but de dormir un peu plus longtemps. La faute à ce roman passionnant qui l’avait tenue éveillée une bonne partie de la nuit. Dénuée de toute bonne volonté, elle avait enchaîné les chapitres, se promettant vainement qu’elle en lirait juste un dernier avant de se coucher. Résultat, ce fut la moitié du romain qui y passa. Et désormais, elle en payait les conséquences. Mais heureusement, il y avait toujours de quoi contenter son estomac dans l’arrière-boutique. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait une fringale après tout. Elle s’absenta pour engloutir une barre de céréales, et alors qu’elle déchirait déjà l’emballage de la seconde, elle entendit le carillon de la porte de la boutique retentir. Abandonnant son encas à contrecœur, elle retourna à l’avant pour saluer son nouveau client. Toutefois, à la seconde où son regard se posa sur la silhouette qui se dessinait devant elle, elle fut incapable d’émettre le moindre son. Elle resta stupéfaite face à ce fantôme du passé, la bouche entrouverte. Trop de questions se bousculaient dans sa tête, contrastant énormément avec son manque de réaction. Elle pensait être préparée à ça, mais la preuve était que non. Elle avait espéré tant de fois ce moment, et maintenant qu’il se jouait enfin, les mots lui manquaient. Finalement, au bout de longues secondes d’un silence pesant, elle sortit de cette pseudo léthargie et réussit à marmonner quelques mots. « Alors c’est vrai… » Les rumeurs étaient fondées. Il était de retour.

Quelques jours à peine qu’il est revenu Lenny. Quelques jours qu’il évite de sortir pour ne pas se faire remarquer. Car il n’est pas le bienvenue ici Lenny, et il le sait parfaitement. S’il n’avait pas fait tout ça, sans doute les habitants lui adresseraient un sourire poli et courtois, le saluant gentiment. Mais dès qu’il venait à mettre le moindre orteil dehors, une avalanche de reproche et de mépris s’abattait sur lui. Bien sûr, Lenny ne peut en vouloir à personne, car après tout, il est le seul et l’unique fautif dans cette histoire. Il soupire, écrase sa cigarette dans la coupelle prévue à cet effet posée sur la table basse. Il s’ennuie, Lenny. Il pourrait prendre son carnet, un stylo, sa guitare et se mettre à composer. Mais le coeur n’y est pas. L’envie n’y est pas. Il est perdu Lenny et au fond, il ne sait plus ce qu’il veut ni ce qu’il fait réellement ici. Second soupir. Il se dit qu’il irait bien rendre visite à Aidia, ou encore à sa soeur. Mais la seule et unique personne qu’il a envie de voir, c’est elle. Ellie. Il sait que ce n’est pas bien, qu’il ne devrait pas après tout le mal qu’il lui a fait. Alors il soupire à nouveau avant de se lever de son canapé. Il enfile un polo, ses chaussures et se dirige vers l’extérieur, lunette de soleil sur le nez. Comme si personne ne pouvait le reconnaître. Pathétique. Et il déambule dans les rues de Brookvalley Lenny, et il se rend compte que rien n’a changé. Tête baissée, il finit par s’arrêter au bout de quelques minutes. Il est arrivé, il le sait. Ses mains planquées dans son jeans, il redresse la tête et la regarde à travers cette vitre. Son coeur s’emballe, alors qu’elle quitte le comptoir. Doit-il vraiment le faire ? Il n’en sait rien, mais il décide d’écouter son coeur. Sortant une main de son jeans, il pousse la porte d’entrée. La sonnette annonce sa venue. Il retire ses lunettes pour les mettre sur sa tête. Et il la voit. Là, devant lui. Après deux ans. Il avale sa salive alors qu’un blanc s’installe entre les anciens amants. Elle ne sait que dire. Lui non plus. Jusqu’à ce que le son de sa voix ne la fasse frémir. — Les nouvelles vont vites .. — Il hausse les épaules, se doutant bien qu’il ne passerait pas inaperçu dans cette petite ville qu’est Mount Juliet. Il ne s’approche pas, restant devant la porte d’entrée. Et il a peur Lenny. Peur de plonger son regard dans le sien. — Salut, Ellie. — Une boule se forme au creux de son ventre lorsqu’il prononce son prénom. Il se sent stupide. Stupide d’être là, de faire comme si de rien n’était. Il se contente de rester là, de contempler ce passé au goût amer d’inachevé.

Grandir dans une petite ville avait ses avantages mais également ses inconvénients. L'un de ces handicaps était que les nouvelles circulaient vite ; beaucoup trop vite. Elles avaient tendance à se propager tel un virus et gagner la population en peu de temps. Pour l’exemple, il lui avait suffi d’aller faire ses courses à l’épicerie du coin pour apprendre que Madame Kent avait trompé son mari avec son jardinier. Ainsi, le fait que le musicien était de retour après deux années d’absence était remonté sans peine jusqu’aux oreilles de la principale intéressée. Une nouvelle qui ne l’avait pas laissée indifférente, contrairement aux commérages habituels. Plusieurs émotions l’avaient traversée en une poignée de secondes, notamment l’appréhension et l’excitation. Était ensuite apparue la déception. Sans doute un peu trop naïve, elle avait espéré que le jour où il se déciderait à revenir à la maison, il prendrait la peine de l’avertir personnellement. L’apprendre de la bouche de quelqu’un d’autre n’était pas ce qu’elle avait imaginé. Mais dans le fond, de qui se moquait-elle ? Il n’avait même pas fait l’effort de répondre à ses messages ou de retourner ses appels. Il l’avait délaissée le jour de leur mariage, sans la moindre explication. Qui faisait ça ? Pas un homme amoureux en tout cas. « Comme toujours. » Evidemment que l’information avait déjà fait le tour de la ville, mais ça, il devait s’en douter. Ce n’était pas en deux ans que la mentalité des gens allait évoluer et que chacun se déciderait à balayer devant sa porte. « Qu’est-ce que tu fais là, Lenny ? » Le ton qu’elle avait employé n’était ni agressif, ni pressant. Elle ne comprenait juste pas pour quelle raison, après ces interminables mois de silence radio, il pointait le bout de son nez comme s’ils s’étaient quittés la veille. Son cœur palpitait tandis qu'elle l’observait, ne s’étant pas encore remis de cette visite surprise. Il semblait encore plus mal à l'aise qu'elle, et il y avait de quoi. Son cerveau, quant à lui, avait encore du mal à réaliser que cette scène était bien réelle et non tirée de son imaginaire.

» - annuaire de lenny anderson.