un amour figé (w/becca)

t'as horreur de perdre ton temps. tu serais plus utile au ranch, à menacer de représailles les gangs voisins, à briser deux ou trois phalanges aux mauvais payeurs. plutôt rares ceci-dit, c'est qu'on déconne pas avec les wolf. votre réputation vous précède. personne n'ignore qu'un petit orteil sur le territoire wolf leur vaudrait une balle "perdue". accident malheureux. y'en a eu à la pelle des comme ça. malheureusement pour toi, t'as pris pour la meute. prisonnier dans les filets d'une malencontreuse discussion animée. c'est fâcheux. vite emmerdant quand tes prouesses t'amènent au trou. t'as pas eu la main leste. le bonhomme a dégusté mais sa dette payée les jours suivant votre altercation. pour ta part, t'en as pris pour trois ans mais tu fais que dix-huit mois. tu pourrais remercier tes frères - et les pattes bien graissées de d'autres - mais ça en deviendrait ridicule. vous sauver les miches c'est comme se dire bonjour. c'est quotidien et franchement, la moindre des politesses. plus d'bétises, gamin. ton regard se lève vers cette bouille d'assistant du shérif quinquagénaire. le même qui a conclu tes baston trop violentées ou surpris tes escapades sexuellement arrosées. quel adolescent farfelu pouvais-tu être. le brin de nostalgie passé, tu toises du regard cette vieille connaissance. c’est comme écouter un père te prier de garder sauve la virginité de sa fille après être passé entre ses cuisses. en missionnaire. à l’indienne. dans les toilettes du bahut. sur la banquette arrière du pick-up de ton frère. c’est cause vaine. demande tardive. ça frôle l’impensable. tes yeux semblent trahir tes pensées quand dans un dernier soupir l'homme tend une main vers la porte de son petit bureau de sous-chef. tu sors sans demander ton reste. une veille horloge suspendue derrière la réception annonce ce que tu savais déjà. t'as perdu ton temps. contraint à un entretien à la con pour envisager ton réinsertion dans la société. tu vends de la drogue à des mafieux sanguinaires tout en t'évertuant à ne pas faire exploser ta rage mécomprise. c'est pas suffisant ? tu te diriges vers la sortie du commissariat quand un visage familier t'apparait. la mère de becca. tu la croises de temps à autre, toujours accompagnée de feu son mari. l'ancien shérif du coin. le connard aux penchants pédophiles. cette famille, t'as appris à ne plus penser à elle. à faire abstraction de leur existence. chose rendue compliquée quand leur patriarche rendait visite au tien, le temps d'un verre, d'une anecdote sur leur jeunesse. excédé, t'y as mis fin à tout ça. alors t'es pas prêt quand sa silhouette scintille à tes yeux. ton coeur fait bang. tu manques de respirer. l'écran bleu. et comme un vieux windows, tout redémarre. bordel. elle est là, à seulement un mètre de distance de tes bras. celle à laquelle t'étais pas censée t'attacher. becca ? tu te maudits à te languir de sa beauté. beauté perdue y'a dix ans. comme ça. d'un claquement de doigts. du jour au lendemain. sans adieu ni explication. valises en main elle est partie en emportant avec elle la plus belle partie de ta personne. celle qu'elle seule avait le secret de réanimer d'un sourire amusé. qu'est-ce que tu fous là ? les mots te manquent mais pas le ton. t'as cette colère qui rumine en toi depuis tout ce temps qui ne demande qu'à sortir. t'occultes le fait que son père vient de creuver - t'iras cracher sur sa tombe plus tard - pour ne te concentrer que sur sa simple présence. becca est de retour. ta becca. le fut-elle vraiment un jour.        

Spoiler:

Ses phalanges s'écrasent un peu plus sur le volant le long du discours de sa mère. Elle fait de son mieux pour l'ignorer, onomatopées quittant ses lèvres entre deux souffles. Mais il y a rien à faire, radio éteinte, paysage familier, ses mots pénètrent comme une éponge. Et elle absorbe Becca, elle dit rien. Les dents qui grincent, les doigts qui blanchissent mais elle dit rien. C'est l'expérience qui résonne, elle a apprit à ses dépends que c'est pire si elle ouvre sa bouche, si elle essaie de tempérer les propos. C'est le même discours qui tourne en boucle, le même estomac qui pèse des tonnes depuis qu'elle est rentrée. Le soulagement de passer la voiture au point mort est palpable mais ça arrête pas sa mère. Maman, on est arrivées. Le ton claque et elle s'en veut presque aussitôt. Elle ne s'excuse pas pour autant, se contente de quitter l'habitacle, essaie de récupérer la circulation de ses doigts. Elle a intérêt à avoir quelque chose, ton père n'aurait jamais laissé un crime impuni. Elles sursautent toutes les deux de la violence qu'elle use pour fermer sa portière. Ça suffit pas, elle a toujours envie de casser quelque chose, la rage qui a reprit possession de ses veines, un peu plus patente chaque seconde à écouter sa mère. On est en retard. Elle souffle, repousse une mèche blonde derrière son oreille et emboite la marche, ouvrant la porte du commissariat à sa mère. L'envie de la refermer et s'envoler loin, loin, loin est tellement forte que c'est presque douloureux d'entrer le bâtiment. Sa poitrine se serre et elle passe en mode survie, ses chansons défilant intérieurement, berceuses anesthésiantes. Elle se coupe du monde, les yeux fixés sur sa mère, et si ce n'était pour sa voix elle n'aurait rien laissé l'interrompre. Mais c'est la sienne, comme gravée en elle et elle se retourne si rapidement que ses cheveux retombent derrière elle, rideau doré. ... alec. Semi question comme si ses yeux la trompaient. Mais non, ils est bien là, juste là et son cœur manque un battement, sa poitrine s’oppresse. Son corps se fige et ses muscles se crispent, souvenirs défilant derrière ses prunelles. Elle ne pensait pas l'ignorer pour toujours mais là, aujourd'hui, ici. C'est trop, explosion sensorielle. Sa tête se détourne légèrement, ses yeux qui arrêtent de le dévorer vivant. Son ton est comme une claque et si elle s'y attendait, c'est pas moins douloureux. Elle avale difficilement sa salive, se retourne pour constater que le bureau du sheriff est désormais fermé, aucune interruption au timing magique. Juste elle et lui, perdus dans ce commissariat. Ses bras se croisent instinctivement, maigre protection lorsqu'elle repose les yeux sur lui. J'accompagne ma mère. Toi? Elle admet seulement, laissant de côté tous les détails peu savoureux, refusant de même de faire allusion à son géniteur. Elle est presque fière de son ton neutre. Simple information et sa tête cherche de nouveau le bureau des yeux. Toujours fermé mais elle hésite Becca. Elle voudrait tout étaler là. S'excuser d'être partie, s'excuser pour son paternel, s'excuser d'exister, s'excuser de tout. Mais c'est pas le moment, ça le sera jamais. Ma mère m'a dit que t'étais en prison. Ses lèvres devancent son cerveau et elle laisse échapper d'un son doux. Elle a du mal à l'imaginer en prison. Elle a du mal à l'imaginer se remettre de la prison. Elle a du mal à l'imaginer tout court. Même alors qu'il est juste là.

l'ironie, ce concept finement curieux. stimulé par un constat pour le moins véridique. enrichi par cette belle femme dont il ne suffisait que d'un sourire pour faire trembler les parois de ton coeur. l'ironie de voir l'organe désormais proscrit. anéanti. bouleversé. privé de son essence, il s'est meurtri. d'abord lentement. jusqu'à cesser toute implication sentimentale. jusqu'à ne devenir qu'une pompe sanguinaire, un simple outils fonctionnel. en loup privé de son agneau, tu t'es mordu la patte. aussi fort que le permettaient tes pauvres crocs. une douleur physique pour oublier la douleur du coeur. au début c'était peine perdue. puis, les années aidant, le souvenir s'est interdit à lui-même. la censure a une nouvelle fois fait sa loi. la becca s'effaça, rangée dans les archives de ses souvenirs. tu l'espérais du moins. mais il n'a pas fallu longtemps à tous ces beaux efforts pour voler en éclat. il n'a fallu qu'un regard. les archives ouvertes, t'as potassé et instinctivement tout t'est revenu. le blond doré de ses cheveux, si soyeux au petit matin, rarement rendus grisâtres par les tempêtes de la vie. sa manie de se mordiller la lèvre inférieure quand la nervosité s'éprend de ses émotions. ses doigts si fins qu'on lui devinait des talents au piano. et ce cou, le jouet de tes baisers. de ton plaisir.un plaisir oublié. un plaisir archivé. tout t'est revenu à la gueule. sans crier gare. un beau jour d'automne que tu pensais stérile de tout drame. tu manques de tressaillir quand lèvres et langue s'entremêlent pour former ton prénom. dix ans que tu l'as pas entendu de sa bouche. prononcé dans un ton si angélique que tes vieux démons peinent à ne pas hurler leur crainte d'un exorcisme. t'as ce méli-mélo d'émotions qui te ravage le bide. mais la colère prime. elle est maître de tes émotions, c'est pas nouveau. mais là c'est décuplé. ça l'est toujours avec becca. ton coeur a beau être foutu, il lui appartient depuis tant d'années que tu l'as simplement mis en mode automatique quand elle est partie. joue pas à ça. que tu lances d'un détachement que t'espères sincère. t'aimes pas le ton qu'elle emploi. ce ton de la normalité. comme si dix ans ne s'étaient pas écoulés. comme si tu ne méritais pas plus d'explications. qu'est-ce que tu fous là ? t'entends mount juliet. t'entends sa disparition précipitée. t'entends ce retour imprévu. ça t'effleure à peine que son père soit désormais six pieds sous terre. du peu de renseignements que t'as gratté sur elle ces dix dernières années, tu sais qu'en quittant la ville elle a tout laissé derrière elle. parents compris. tu lances un regard noir à sa mère, restée en retrait, quand elle évoque la prison. sa mère ne t'a jamais apprécié. trop dangereux, trop imprévisible, trop violent pour sa fille. si elle savait que c'est son mari qui t'a flingué. une part à peine dissimulée de toi-même le lui reproche. de pas l'avoir su, de pas avoir perçu cette part noire du monstre qu'était son mari. t'as besoin que ton père crève pour revenir ? ton ton attire le regard des curieux. mais ça t'fout en rogne de savoir qu'elle est pas revenue pour toi. que ce déchet mérite encore ses faveurs alors que t'es plus rien à ses yeux. elle te l'a bien fait comprendre. dix ans que le message est bien passé.